Chapitre 6

“You found me locked and cold. I was safe and so alone.”



Le réveil est, une fois de plus, surprenant et fort désagréable. Quelqu’un (Lily ?) a eu la malencontreuse idée de glisser des glaçons dans mon pyjama. C’est pour cette raison que pour une fois, j'ai le temps de prendre calmement un copieux petit-déjeuner en lisant les journaux. Les nouvelles sont une fois de plus désastreuses, mais rien ne pourrait entamer mon moral alors que je me souviens de la surprise cachée la veille dans le dortoir de mon frère.
Cassa me donne un coup de coude pour me signifier qu'il entre dans le réfectoire. Il a les yeux cernés et est suivi de ses trois inséparables amis. Lorsqu'il arrive à mon niveau, l'innocence incarnée que je suis ne se prive pas du plaisir de lancer :
-Tu sembles bien matinal James. Un problème ?
Il éclate de rire avant de répondre :
- Tu ne crois pas, à presque 19 ans, avoir passé l'âge pour ces enfantillages ?
- On n'est jamais trop grande pour rendre la monnaie de sa pièce à un traître.
...Touché !
- Nous allons donc avoir le plaisir de nous retrouver à cinq tous les soirs en retenue. Tu ne l'avais pas prévu, pas vrai ?
Je recrache mon pancake de surprise, manquant de m'étouffer. Pour le coup, je n'avais pas pensé qu'ils s’attireraient les foudres de la Vigie. Je me suis tirée une balle dans le pied toute seule...
James passe derrière moi, me donnant une tape sur l'épaule.
- Ne soit pas en retard à l'entraînement.
- Moi ? Jamais !
...Connard.
Lily me fixe, semblant attendre des explications. Comme si j'allais lui tendre le bâton pour me faire battre. Je ne suis pas encore assez folle pour ça. Manque de pot, Cassa, toute fière de nos exploits, raconte naïvement que nous avons volé les cages à souris de la Vigie pour les lâcher dans le dortoir. Au bas mots, nous avions compté une cinquantaine de petites boules de poils. Vu le regard que me lance Lily, je suis surprise de ne pas me faire étrangler.
Le petit déjeuner englouti, nous allons nous changer dans les vestiaires. Lily et Alice, muette depuis ce matin, nous accompagnent.
Nous croisons l'équipe précédente qui vient de terminer l'entraînement. Alexander est parmi eux, et s'arrête pour me saluer avant de bifurquer vers les gradins. Il s’installe alors que moi, encore courbaturée de la veille, peine à me mettre en selle.
Alexander ne dort pas aujourd'hui. Toujours vêtu de sa tenue d'équitation, il me fixe sans même se préoccuper d'être discret. Cela me met mal à l'aise. Je tente de ne rien laisser paraître, mais échoue lamentablement en rougissant lorsque nos regards se croise. Il sourit.
- Mary ? Concentre-toi un peu ! Elle était facile à arrêter celle-là !
...Cassa vient de m'afficher devant tout le monde. Ma gêne ne fait que s’accroître. Je m'excuse en bafouillant et l'entraînement reprend.
Et je trouve le temps long.
Le calvaire terminé et une fois dans les vestiaires, mon amie met les pieds dans le plat. Encore.
- Il te plaît le solitaire ?
Ma tentative de feinte en revenant sur l’entraînement échoue lamentablement.
- Arrête, pas à moi. Je ne t'ai jamais vue regarder un seul homme comme tu l'as fait pour lui. Et pourtant ce n’est pas le premier à s'intéresser à toi. Thomas était sacrément beau d’ailleurs...
- Je me moque du physique.
Elle éclate de rire :
- T’es bien la seule !
Lily semble contrariée, mais ne décide à donner son opinion qu'une fois ma douche terminée.
- Le moins que l’on puisse dire, remarque-t-elle, c’est qu’il ne passe pas inaperçu. Donc ce n’est pas très compliqué de glaner des informations. C’est un solitaire. Il est extrêmement dur à approcher tellement il se méfie. On ne lui connaît aucune relation parmi la gente féminine. Son dossier est rempli d’incartades en tous genres avec ces camarades. Des prétextes bizarres, comme l'interruption de sa sieste. Il arrive pourtant à se tirer vainqueur de toutes les situations. Il ne semble pas avoir la carrure pour être le rival de James mais depuis le ralliement de Will, il n’a guère le choix...
La solitude et la méfiance sont des qualités pour un futur roi. Il n’y a rien de plus seul qu’un souverain, malgré les conseillers, ministres et courtisans qui l’entourent. Je garde cependant cette remarque pour moi. Mon opinion sur le sujet est trop influencée par mon éducation de remplaçante de James.
Remplaçante.
- Si tu veux le faire craquer, tu devrais mettre l’ensemble prune. C’est ce qui te va le mieux au teint, remarque Cassa de la façon la plus innocente qu’il est permis d’imaginer.
Je soupire mais me saisis de l’ensemble qu’elle me tend. C’est vrai qu’il ne me va pas mal. Pour achever le look, je décide de laisser mes cheveux libres au lieu de les discipliner. Un dernier coup d’oeil dans le miroir, puis je vais à la bibliothèque.
Alexander est déjà là. Assis sur le rebord de la fenêtre la plus éloignée, le regard dans le vague, il a sûrement l’esprit sûrement dans des nuages aussi gris que ses yeux. La lumière est si belle que j’aurais voulu immortaliser l’instant. Il me prend malheureusement en flagrant délit, s’apercevant de ma présence. Il m’invite à m’asseoir à ses côtés, un sourire moqueur sur les lèvres :
- Tu veux ma photo ?
Tu n’imagines pas à quel point.
Je ne me laisse pas démonter.  J’essaie de le mettre mal à l’aise à mon tour :
“- Je te trouve beau...
-Je ne pense pas l'être. En plus, je ne supporte pas qu’on me fixe.
Il rougit ? Ha ! Vu le portrait qu’on m’avait peint, je ne m’attendais vraiment à lui découvrir de la timidité. C’est intéressant à savoir...
Le marché qu’il me propose est assez simple : il s’agit de rallier son camp et de l’aider à devenir un rival sérieux de James. Même s’il ne compte pas se saisir du trône, il doit sérieusement se lancer dans la course à la couronne pour éviter que les assassins ne retournent leur veste, ce qui serait dangereux.
L’idée est vraiment simple. En passant du temps avec lui, j’afficherais mon soutien publiquement. Je n’ai aucune raison de refuser...
Le temps passe vite. J’ai bien du mal à me résigner à le quitter, tant la conversation était captivante et mon désir de rester à ses côtés était fort. Je l’observe tourner les talons. Passé quelques pas, il lance sans même se donner la peine de se retourner :
- Je viendrai te réquisitionner demain après le repas , comme convenu !
- C’est pas la politesse qui t’étouffe !
J'espère qu’il m’a entendue claquer la porte. Je ne veux pas qu’il pense que son charisme suffira à m’amadouer. J’ai été moi aussi élevée dans une famille de la royauté. Je ne supporte pas de me faire manipuler de la sorte.


Pourtant lorsque je me glisse sous les draps en souriant, c’est bien à lui que je pense.

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